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Le streaming a-t-il tué le cinéma ? 

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    Bibliothèque publique d’information – notre réponse du 27/10/23.

    Salle de cinéma avec sièges vides
    par freepik

    Une rubrique du site web du CNC met à disposition les chiffres de fréquentation mensuelle des salles de cinéma. Or, même pour septembre 2023, il est indiqué que « selon les estimations du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), la fréquentation cinématographique atteint 8,78 millions d’entrées au mois de septembre 2023, en hausse par rapport à septembre 2022 (+16,1 %) mais à un niveau inférieur à la moyenne 2017-2019 (-21,1 %). » Or, si le covid a certes été un accélérateur d’abonnement aux plateformes de streaming (ou SVOD) selon une étude Ifop de juin 2022, Les films et les séries sur les plateformes de streaming (p. 13), il n’est pas seul en cause, le streaming l’est aussi. Alors, le streaming a-t-il réellement tué le cinéma, qui serait en train de disparaître progressivement ? Et en toute rigueur, n’y a-t-il pas un abus de langage : s’agit-il de l’industrie cinématographique elle-même, ou plutôt de l’exploitation en salle ?

    Sommaire

    Une question bien réelle
    La mort du cinéma, vraiment ?
    À plus long terme, quelle prospective ?

    Une question bien réelle

    Face à une fréquentation jugée insatisfaisante des salles de cinéma en période post-covid, un accusé : les plateformes de streaming

    • Le constat 
      – Quelques chiffres : 

    Une étude Xerfi, Les salles de cinéma, parue en janvier 2023 (étude disponible sur abonnement, consultable à la Bpi) indique, dans les principaux déterminants de l’activité des exploitants de salles de cinéma, que les plateformes numériques ont un effet négatif persistant sur le chiffre d’affaires du secteur : 

    « Il n’existe pas d’arbitrage direct entre l’achat d’un billet de cinéma et la consommation de vidéos sur Internet. Mais la multiplication des plateformes numériques tend à imposer une plus forte concurrence aux exploitants. Les pure players de la SVOD (Netflix en tête) proposent en effet désormais des contenus exclusifs et originaux, dont la qualité s’apparente de plus en plus à celle des œuvres projetées en salles. L’augmentation progressive des souscriptions à une offre de SVOD en France peut dès lors freiner la fréquentation des salles obscures. En outre, l’attrait grandissant des Français pour les séries favorise la progression de la base d’abonnés des plateformes de SVOD. » 

    Extrait p. 33, § “La concurrence des plateformes numériques”

    Bilan mi-2023 : la fréquentation des cinémas se redresse mais reste polarisée, par Tanguy Colon, site web Boxoffice Pro, 13/07/2023.

    « l’analyste [Éric Marti, directeur général de Comscore France] souligne que « le déficit de titres qui auraient réalisé entre 500 000 et 1 million d’entrées et qui se retrouvent principalement sur les plateformes » est l’une des raisons pour expliquer l’écart de 12 % encore présent par rapport aux niveaux pré-Covid. » 

    Or, cette concurrence n’est visiblement pas prête à se tasser voire à s’estomper :

    À consulter cette autre étude Xerfi sur L’édition de chaînes de télévision et de plateformes de streaming (ressource sur abonnement, en accès restreint, consultable à la Bibliothèque publique d’information), par Vincent Chamouleau et Flavien Vottero de février 2023.

    « Le marché de la vidéo à la demande continuera de croître en 2023 (§10,7% d’après nos prévisions). L’essentiel du marché sera porté par le segment des services par abonnement (+ 12% en 2023). Le taux de pénétration des principales plateformes continuera en effet d’augmenter avec la démocratisation des formules moins chères comprenant de la publicité (chez Netflix et Disney + notamment). » (p. 16)

    Concernant ce taux de pénétration, dans les services de vidéo à la demande, « les plateformes accessibles par abonnement (comme Netflix ou Disney +) sont les plus populaires en France (25,5% des internautes en 2022 selon Xerfi) » (p. 46). Et les chiffres indiquent une reprise de croissance de ce taux en 2022 ; et que si « le marché de la vidéo à la demande a progressé de 14% au global», dans le détail, « l’essentiel de la croissance est porté par le segment des services disponibles sur abonnement (+15 % en 2022 et qui représente à lui seul 88% du marché en valeur) » (p. 53).

    – Les enquêtes de publics :

    Etude Ifop (Institut français d’opinion publique) sur les motivations et usages des abonnés et les éventuelles conséquences sur leur fréquentation des salles, commandée par l’Association Française des Cinémas Art et Essai, publiée en juin 2022. Cette étude met en évidence, à partir d’enquêtes auprès des publics, la concurrence exercée par les plateformes de streaming : depuis qu’ils se sont abonnés à une offre de vidéo à la demande, 29% des sondés vont moins souvent au cinéma, et que 12% n’y vont plus (p. 17).

    • Les raisons de la concurrence exercée par les plateformes de streaming

    – La souplesse du “on demand”: l’Etude Ifop déjà mentionnée indique p. 16 les principaux avantages de l’utilisation de ces services de vidéos par abonnement : confort supérieur chez soi, absence de déplacement, flexibilité du moment, coût global inférieur (lissé sur une pratique annuelle récurrente), choix du support …

    – L’amélioration de la qualité de l’offre avec de plus en plus de films de grands réalisateurs :
    Article Réflexions sur l’avenir du cinéma face aux plateformes américaines de streaming par Jean-François Mary, Annales des Mines – Réalités industrielles 2022/1 (Février 2022), p. 29 à 32, consultable sur la plateforme Cairn.info.

    « De grands réalisateurs n’hésitent pas à faire le choix d’un financement par une plateforme, sachant que la projection de leur film dans un réseau de salles sera négligée, voire abandonnée. »

    §9 de cette étude

    La mort du cinéma, vraiment ?

    Une certaine complémentarité entre cinéma et streaming

    • Des modes de consommation différents selon les envies : souplesse chez soi / convivialité et sociabilité en salle

    Netflix ne tue pas le cinéma, il le sauve !, par Leila Ghedaifi, site views.fr, 18/03/2021.
    L’article reprend le propos de Martin Barnier, historien du cinéma et auteur avec Laurent Jullier de l’ouvrage Une brève histoire du cinéma : « Ce n’est pas du tout la même chose d’avoir un film sur l’écran sur l’ordinateur et puis de le voir dans une salle de cinéma. Beaucoup de personnes sont attachées aux salles pour des raisons de confort et le fait que plein de gens regardent un film en même temps, sur le même écran. » 

    Le site web Boxoffice relaye et précise, dans l’ article Pourquoi les Français vont-ils moins souvent au cinéma , daté du 23/05/2022,  les points essentiels d’une étude menée par l’institut Vertigo.
    La conclusion de cette étude est de confirmer que le cinéma demeure pour une catégorie d’utilisateur un lieu privilégié de partage …C’est ce qui fait sa force, le cinéma comme lieu culturel et de socialisation indispensable et vitale pour certains.

    • Complémentarité des publics

    Faire face aux gros cinémas – Entretien avec Laurent Coët (exploitant optimiste de cinéma), chaîne YouTube Guim Focus, vidéo mise en ligne en mai 2023. Cet exploitant aborde la question de la concurrence des plateformes de streaming (ce que n’indique pas le titre de la vidéo). Il considère que ce lieu de proximité est indispensable comme lieu convivial indispensable aux spectateurs français. Il ne voit pas d’opposition entre les plateformes de streaming et le cinéma. Chacun porte un public différent.

    • Des offres non concurrentes sur certains segments : le poids des séries

    L’étude Ifop mentionnée ci-dessus indique que « sur les plateformes SVOD, la consommation de séries est plus fréquente que le visionnement de films. Les jeunes en sont particulièrement amateurs. Les plus âgés sont plus enclins à regarder des films ». 52% des abonnés de ces plateformes ne regardent en effet que des séries (4%) ou essentiellement des séries.

    Sur ce poids des séries, consulter Netflix, l’usine à séries que le cinéma déteste adorer, par Julien Baldacchino, dans la revue Nectart, 2019/2 (n° 9), p. 116 à 125.

    Le streaming, un soutien dans une certaine mesure ?

    • Une accessibilité accrue des contenus cinématographiques

    L’article déjà mentionné Netflix ne tue pas le cinéma, il le sauve ! montre qu’outre la participation à une diversité cinématographique (financement de films autrement non produits),  l’accessibilité des films produits paraît améliorée grâce aux plateformes : « […] la plateforme permettant ce qu’aucun distributeur français ne fait actuellement : partager directement des films français dans le monde entier et traduits dans toutes les langues. »

    • Un soutien à la création cinématographique

    Les plates-formes sont-elles en train de sauver ou de tuer le cinéma ?, par Valery Michaux (enseignant-chercheur), The Conversation, 23/12/2020.

    « Certains experts pensent que la créativité et la liberté de création n’ont jamais été aussi importantes qu’aujourd’hui, car les plates-formes ont une base de clients tellement importante qu’il est plus facile de sortir du cadre classique pour produire des films exigeants avec une masse critique d’audience internationale suffisante. Par exemple, Netflix a financé des films d’auteur qui n’auraient pas été financés sans son intervention. Rappelons que personne ne voulait distribuer Roma d’Alfonso Cuarón, ce long-métrage austère en noir et blanc au budget de 15 millions de dollars qui a finalement été récompensé par 3 oscars en 2019 […] »

    Netflix, l’usine à séries que le cinéma déteste adorer, par Julien Baldacchino, dans la revue Nectart, 2019/2 (n° 9), p. 116 à 125.

    « Au sein du Centre national de la cinématographie (CNC), l’apparition de ces acteurs a également ouvert des perspectives. Membre pendant plusieurs années de la commission d’attribution du fonds d’aide à l’innovation du CNC, Fabrice Gobert raconte le changement qui s’est opéré quand Netflix s’est implantée dans l’Hexagone : « D’un seul coup, nous avons senti que du point de vue des auteurs c’était formidable, parce que beaucoup de projets dont on se disait qu’ils ne pourraient pas se développer en France devenaient envisageables. » »

    §9

    Les atouts du cinéma aujourd’hui pour résister

    • Le cinéma : une expérience de visionnage incomparable :

    Netflix ne tue pas le cinéma, il le sauve !, par Leila Ghedaifi, site views.fr, 18/03/2021.
    Martin Barnier, historien du cinéma y insiste : Ce n’est pas du tout la même chose d’avoir un film sur l’écran sur l’ordinateur et puis de le voir dans une salle de cinéma. […] Le son et la qualité de l’image ne pourront jamais être égalés et ça c’est une garantie de survie des salles ».

    L’étude du CNC mentionnée ci-dessus indique que pour les sondés, 37 % ont invoqué dans les raisons de revenir en salle le fait de “voir un film dans des conditions optimales de son, d’image et de confort” (p. 38). 

    • Le cinéma, une occasion de sortie

    Même étude du CNC : 34% des sondés se montrent sensibles à l’argument de “Pouvoir profiter d’un loisir qui vous fait sortir de chez vous et de votre quotidien”.

    À plus long terme, quelle prospective ?

    L’effort de régulation de la France à poursuivre 

    Réflexions sur l’avenir du cinéma face aux plateformes américaines de streaming par Jean-François Mary, Annales des Mines – Réalités industrielles, 2022/1 (Février 2022), p. 29 à 32, consultable sur la plateforme Cairn.info.

    « La régulation à la française continuera à l’avenir de reposer sur trois pôles : la protection de la salle de cinéma grâce la chronologie des médias, la garantie du niveau de financement des œuvres françaises et européennes renforcée par les apports provenant des SMAD étrangers, et le maintien des critères d’indépendance capitalistique et artistique des producteurs et des auteurs. Ce nouveau cadre en vigueur en France peut-il agir comme un moteur pour de nouveaux modèles à inventer pour la diffusion des films entre salles de cinéma et services de vidéo à la demande ? »

    §23 de cet article

    Le cinéma français réclame une politique plus ambitieuse pour exister face aux plateformes, par Ludovic Lamant, mediapart.fr, 22/02/2023. Consultation sur abonnement.
    « À la veille des César, des professionnels du secteur appellent à la tenue d’États généraux, persuadés que les pouvoirs publics ne jouent pas leur rôle de soutien à la diversité face à Netflix ou Amazon Prime. Du côté du ministère, on oppose « à ce stade » une fin de non-recevoir, au risque d’aggraver les crispations. »

    Des discussions sont par ailleurs en cours pour une nouvelle chronologie des médias :
    Territorialité et chronologie des médias dans le secteur européen de l’audiovisuel Observatoire européen de l’audiovisuel, Strasbourg, 2023, p7.

    Des discussions sont en cours entre les professionnels et les responsables politiques dans différents pays européens.

    « Par décret du 9 février 2022, le ministre de la Culture a décidé de rendre applicable à toutes les entités concernées sur le territoire français l’accord sur le réaménagement de la chronologie des médias signé par les organisations professionnelles du cinéma et les représentants des diffuseurs le 24 janvier 2022. La période de sortie entre la sortie en salle et la fenêtre d’exploitation suivante est imposée par la loi. L’accord est valable pour une période de trois ans et pour une durée de trois ans et sera réexaminé tous les 12 mois au moins. La fenêtre du cinéma reste la même, avec une exclusivité de 4 mois qui peut être ramenée à 3 mois si le film a enregistré moins de 100 000 entrées au cours de ses 4 premières semaines. Netflix a signé l’accord qui lui permet de diffuser un film en streaming 15 mois après sa sortie au cinéma, alors que l’accord précédent était fixé à 36 mois. Les autres services qui n’ont pas signé l’accord doivent respecter un délai de deux ans. »

    Annexe p. 96

    La nouvelle « chronologie des médias » par La rédaction numérique de France Inter, le 24/01/2022.

    Netflix devra attendre au moins 15 mois après leur sortie en salle pour ajouter un film sur sa plateforme, contre 36 mois auparavant. La raison : la plateforme s’engage à produire des films en France, dont le budget s’élève de trois à quatre millions d’euros. Les deux autres plateformes, Prime Video et Disney+, devront attendre 17 mois, soit un an et demi.

    Quel impact des séries, règne du binge-watching, sur la création cinématographique? Un sujet en débat

    Netflix, l’usine à séries que le cinéma déteste adorer, par Julien Baldacchino, revue Nectart, 2019/2 (n° 9), p. 116 à 125.
    Dans le § “Le binge-watching va-t-il tuer le cinéma ?” (§ 6 sq), l’auteur semble montrer que non. « Tous les interlocuteurs interrogés sur la question sont catégoriques : aussi attractif que puisse paraître le format série, il peut difficilement se substituer à un long-métrage. » 

    Nouvelles plateformes entre télévision et cinéma : quelles mutations en cours ?
    Quels impacts sur les contenus ?
    , par Valery MICHAUX, Enjeux numériques sur le site web annales.org (Annales des Mines), 03/06/2020
    Dans le § “Quels impacts des mutations en cours sur les contenus ?”, l’enseignant-chercheur expose les positions en présence dans ce débat. 

    • Légitimation d’une place pour les plateformes de streaming dans l’écosystème du cinéma ?

    Netflix et les professionnels du cinéma et de l’audiovisuel français : vers une « entente cordiale » ? par Vincent Bullich et Laurie Schmitt, revue Nectart, 2022/2 (n° 15), p. 66 à 79 (disponible en libre accès sur la plateforme Cairn). Cet article s’intéresse notamment à la construction de la légitimité symbolique de Netflix dans l’écosystème du cinéma français par la constitution d’un catalogue d’œuvres françaises et le financement de formation en cinéma.

    Ralentissement de la Vad ? 

    Etude du CNC, janvier 2023 : Observatoire de la vidéo à la demande (janvier 2023)

    « Mais la fête semble finie. 2022 restera vraisemblablement comme l’année du « peak TV » (le pic de la télévision), c’est-à-dire celle où il y aura eu le plus de contenus dans l’histoire de la télévision. Car, alors qu’on assistait à une extension de l’offre, celle-ci a déjà commencé à se contracter, comme en témoigne la fusion entre les géants Warner Media (HBO) et Discovery pour former le groupe Warner Bros. Discovery, avec une seule plateforme au lieu de deux dès l’an prochain. Surtout, le secteur semble enfin arrivé à maturité en 2022. Autrefois un usage naissant, la SVoD (vidéo à la demande sur abonnement) est désormais devenue la norme aux Etats-Unis, et quasiment en France où Netflix dépasse à lui seul les 10 millions d’abonnés. »

    2023, l’année du chamboulement dans le streaming vidéo (Netflix, Canal+, OCS, Disney+…)

    EurêkoiBibliothèque publique d’information


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