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Anthropologie : Quelle est l’histoire du rapport de l’homme au sommeil ?

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    Bibliothèque francophone multimédia de Limoges – notre réponse du 04/11/2020.

    © Le Sommeil d’Alphonse Eugène Félix Lecadre , CC BY-SA 4.0 via Wikimedia Commons


    Il existe aujourd’hui une journée mondiale du sommeil, chaque troisième vendredi du mois de mars.

    Dès l’Antiquité, la question du sommeil suscite l’intérêt. Dans la mythologie grecque, l’endormissement serait déclenché par Hypnos, dieu du Sommeil.
    Celui-ci éventait les mortels de ses ailes ou les touchait avec une branche de pavot. Une fois endormis, Morphée, dieu des Songes, apportait ensuite les rêves, en enveloppant les personnes de ses bras. C’est de là que provient l’expression les « bras de Morphée ».

    Peut-on brosser l’histoire du rapport de l’homme au sommeil ?


    Un rapport au sommeil très ambivalent, des origines au Moyen-Âge

    L’état de sommeil comme état de vulnérabilité

    La nuit reste de tout temps un moment de dangers réels ou fantasmés, suscitant de multiples peurs.
    Un article de la revue Sciences et vie montre que la peur du noir est en elle-même une peur atavique, qui influe sur le rapport au sommeil.
    Une peur du noir inscrite dans les gènes par Lise Barnéoud, archive de Sciences et vie, du 05/10/2014, mis à jour le 19/11/2018
    Extrait :
    Présente dans toutes les cultures, la crainte de l’obscurité serait programmée biologiquement. Elle serait l’héritage de la crainte ancestrale des prédateurs, due à notre piètre vue nocturne.

    Un autre article, sur la plateforme académique cairn.info, précise dans la même perspective :
    « La perte de l’acuité visuelle dans l’obscurité augmente le sentiment de vulnérabilité. La vision étant le trait d’union entre le monde du réel (ce qui existe véritablement) et les aptitudes à y répondre mémorisées au cours de son apprentissage par le cerveau humain, lorsque l’individu ne perçoit plus son environnement, la réalité fait place à l’imaginaire. L’australopithèque descend de son arbre le jour pour manger des feuilles au sol et y remonte la nuit venue pour ne pas servir de repas aux prédateurs. De ce repos forcé, il apprit à dormir la nuit et à vivre activement le jour. Son organisme s’est réglé sur ce mode de vie. »
    L’histoire de l’homme à travers la nuit par Jean-Noël Berguit, VST, Vie sociale et Traitements, revue des CEMEA, 2004.


    Les fonctions positives du rêve

    Si le sommeil implique l’acceptation de cette vulnérabilité, tout en lui n’est pas jugé négatif dans l’Antiquité.
    Le sommeil est en effet le temps du rêve. Or, à celui-ci est attribuée une double fonction divinatoire, selon ce même article :
    Extrait :
    Le rêve est valorisé, il a une double fonction divinatoire : il permet de connaître le passé et de prévoir l’avenir :
    chez les Grecs, la nuit « est mère de bons conseils » ;
    chez les Égyptiens, le rêve a une valeur prémonitoire ;
    dans le monde celtique, il a une fonction sociale (il permet au druide par exemple de désigner le nouveau chef en cas de désaccord des membres de la tribu).


    Un intérêt porté au phénomène du sommeil dès l’Antiquité

    Comme l’expose Jean-Noël Berguit, le phénomène du sommeil suscite dès l’Antiquité un intérêt et fait l’objet d’une étude d’objectif scientifique :
    Extrait : Virgile a déjà divisé la nuit en cinq périodes distinctes :

    • Prima fax : le début de la nuit ou le crépuscule, qui prolonge le jour dans des activités de sustentation et des rites de coucher (prières…) ;
    • Concubinum : moment de l’acte charnel ou du premier sommeil ;
    • Nox intempesta : le milieu de la nuit ou nuit profonde, qui pourrait correspondre à la première partie des cycles nocturnes riches en phases du sommeil profond ;
    • Nox média : la nuit intermédiaire, qui pourrait correspondre à la deuxième partie des cycles nocturnes où les phases de sommeil paradoxal sont plus nombreuses et où le dormeur peut donner des signes d’activité onirique (mouvements, paroles…) ;
    • Gallicinium : l’heure de la nuit où le coq chante, l’aube annonciatrice du réveil et de la reprise de l’activité diurne.
      L’histoire de l’homme à travers la nuit par Jean-Noël Berguit, VST, Vie sociale et Traitements, revue des CEMEA, 2004.

    Un sentiment de peur réactivé au Moyen-Âge

    L’homme médiéval dort peu

    Dans les populations très chrétiennes, se coucher, c’est affronter le monde de l’obscurité, un monde associé à Satan, au loup, aux créatures horribles.
    De ce fait, comme le précise encore le même article :
    « l’homme du Moyen Âge dort peu, enclin à des peurs liées autant à la situation réelle d’une époque insécurisée qu’à son imaginaire. Tout naturellement c’est vers Dieu qu’il va se tourner lors de ses insomnies pour lui demander protection. »

    Pour une étude plus approfondie des manières de dormir au Moyen-Âge consulter cet article :
    Dormir au Moyen Âge par Jean Verdon, Revue belge de Philologie et d’Histoire, Année 1994.


    Un séquençage du sommeil multifactoriel

    Il ressort des travaux de recherche qu’avant la révolution industrielle, la nuit de sommeil était en réalité séparée en deux parties, entrecoupées d’une période de veille. Il était courant de se coucher peu de temps après la tombée de la nuit, puis de se réveiller aux environs de minuit pour une heure environ.
    Ce sommeil biphasique remonte au Moyen-Âge et même à l’Antiquité, d’après ce que l’on peut lire chez Homère. Il pourrait être la trace d’une sorte de « réflexe préhistorique » de se réveiller en pleine nuit pour vérifier que tout va bien.

    Roger Ekirch, historien à l’Université Virginia Tech, a longtemps étudié ce phénomène d’un sommeil en deux séquences. Il en a trouvé trace « aussi bien en Europe qu’en Amérique latine, au Moyen-Orient et en Australie. »
    Il expose la raison qui l’a conduit à s’y intéresser :
    Extrait : Son investigation a commencé « après avoir relevé l’occurrence des expressions “premier sommeil” et “second sommeil” dans nombre de documents historiques, dont les journaux intimes, les dossiers médicaux et les archives judiciaires. Ces récits l’ont amené à penser que ce qu’il a appelé “sommeil fractionné” ou “biphasé” était autrefois courant. “J’ai été frappé par la banalité avec laquelle ces références revenaient », explique-t-il au Huffington Post. « Elles étaient utilisées comme si tout le monde savait de quoi il retournait. C’est ce qui m’a fait penser que ce phénomène n’était ni unique ni anormal.
    Sur les travaux de Roger Ekirch, auteur de At Day’s Close : Night In Times Past, voir l’article :
    Pourquoi une nuit complète de sommeil n’est peut-être pas « naturelle 
    Huffington Post, publié le 05/04/2016.


    D’après les recherches de Guillaume Garnier, de l’Université d’Angers, ce temps d’éveil pouvait être consacré à des tâches du quotidien telles que vider des pots de nuit par la fenêtre en milieu urbain, ou visiter des bêtes quand on est en milieu rural, pour être sûr que tout se passe bien et éviter des vols.
    L’Oubli des peines : Une histoire du sommeil (1700-1850) par Guillaume Garnier, Presses universitaires de Rennes, 2013.
    Disponible sur la plateforme OpenEditions Books.


    L’évolution du rapport de l’homme au sommeil depuis l’époque moderne

    L’évolution de ses représentations

    Une étude montre de manière approfondie comment la représentation du sommeil évolue au XVIIème siècle et se trouve rationalisée, pour devenir champ d’investigation proprement scientifique au XVIIIème siècle.
    Le corps endormi : une histoire des représentations du sommeil dans la société française du XVIème au XVIIIème siècle par Alice Bretagne, sous la dir. de Elisabeth Belmas. Thèse de doctorat en Histoire, Université Paris 13, 2012.

    Présentation : « Le sommeil est un champ d’étude complexe qui touche différents domaines : religion, vie quotidienne, sciences…, autant de représentations différentes, parfois contradictoires, mais souvent complémentaires. Durant les XVIème-XVIIème siècles, c’est un discours imprégné d’une pensée magico-religieuse qui se développe sur le sommeil. La représentation traditionnelle du sommeil en fait un moment de danger et d’avilissement de l’âme, durant lequel le corps n’a plus conscience de lui-même. (…) À partir du XVIIème siècle, l’abord du sommeil se rationalise ; de simple préoccupation hygiénique il devient objet d’étude scientifique au XVIIIème siècle. Le sommeil occupe une place importante au sein du savoir médical au siècle des Lumières, à la fois dans la physiologie, la pathologie et la nosologie ; il commence à intéresser la psychologie naissante. »


    La lumière artificielle, source de mutation des pratiques de sommeil

    La possibilité de bénéficier d’une lumière artificielle va bouleverser la donne. Grâce au recours à une lumière qui rassure à la maison et à l’éclairage qui se généralise dans les rues, les habitants dormiront sans coupure.

    Avec la révolution industrielle et des paysans venus à la ville, le travail de nuit se développe également.
    Tout le monde ne dort plus systématiquement la nuit, ce qui n’est pas sans perturber le rythme physiologique de l’homme. Cela nécessite une adaptation, comme le montre notamment une thèse de doctorat canadienne en accès libre sur la plateforme erudit.org :
    Traitement comportemental pour le trouble du sommeil lié à l’horaire de travail chez les travailleurs de nuit : une étude exploratoire
    Sonia Claveau, sous la dir. Annie Vallières, Célyne Bastien, Université de Laval, 2014.


    Baisse de la durée du sommeil à l’époque contemporaine ?


    Un Bulletin épidémiologique hebdomadaire des experts Santé publique France estime, dans un bulletin spécialement consacré au sommeil publié le 13/03/2019, « un temps de sommeil total moyen proche de sept heures par nuit en France.
    Ces résultats mettent cependant en évidence le fait qu’ une proportion élevée de Français dort moins de six heures, sont en dette ou en restriction de sommeil », indiquent-ils sur le bulletin. « Plus d’un quart des Français parviennent à faire la sieste pour compenser cette dette, mais l’insuffisance de sommeil demeure un enjeu crucial de prévention des maladies chroniques.« 
    Santé Magazine, Elena Bizzotto, le 13/03/2019.

    Cette dette de sommeil serait causée entre autre par la lumière bleue des écrans, selon les études. Voir à ce sujet l’infographie en accès ouvert (article abonné) et la réponse du docteur Nadège Limousin-Champfailly, médecin au centre du sommeil de Tours :
    Extrait : « Oui, car la lumière bleue émise par les écrans indique à notre cerveau de rester éveillé » , répond Nadège Limousin-Champfailly.
    Cet effet est lié aux cellules ganglionnaires rétiniennes, qui ne jouent pas de rôle dans la vision mais permettent de synchroniser notre horloge biologique avec l’alternance du jour et de la nuit en inhibant notre sécrétion de mélatonine.« 
    La lumière des écrans nuit-elle vraiment au sommeil ? N.R., magazine Science et Vie, le 20/04/2016.

    Ce constat d’une baisse du temps de sommeil à l’époque contemporaine reste toutefois à nuancer. En effet, on a véritablement commencé à mesurer ce temps à partir de la Seconde Guerre mondiale, avec quelques statistiques.
    Certaines études mettent en doute cette affirmation, selon l’article suivant :
    Est-il vrai que l’on dort moins qu’avant ? par Coralie Hancock, magazine Science et vie, le 11/11/2020.


    Eurêkoi – Bibliothèque francophone multimédia de Limoges
    http://bfm.limoges.fr/


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