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Quels sont les liens entre le jazz et la musique savante ?

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    Bibliothèque publique d’information – notre réponse actualisée le 18/04/2024.

    Maison Jazz Band Orchestre de Jazz
    Maison Jazz Band par Seamus Murray, CC BY 2.0 via Wikimedia Commons

    Le jazz est parfois défini comme « la plus savante des musiques populaires et la plus populaire des musiques savantes ». Né dans le sud des États-Unis au début du XXe siècle, le jazz se nourrit de multiples influences et évolue sous diverses formes. Quels liens se nouent entre le jazz et la musique savante ?

    Le jazz, métissage entre musique savante et musique populaire

    Tout d’abord, le musicologue Esteban Buch rappelle les différences entre musique savante et musique populaire dans son chapitre Le duo de la musique savante et de la musique populaire. Genres, hypergenres et sens commun (Théories ordinaires, d’Emmanuel Pedler (dir.) et Jacques Cheyronnaud (dir.), éd. École des hautes études en sciences sociales, 2013).

    « La musique savante se distingue par le rôle qu’y joue un certain savoir et, partant, la transmission de ce savoir, tandis que la musique populaire tire son identité de ses producteurs et de son public ; la musique savante est écrite, la musique populaire ne l’est pas, sauf éventuellement sous forme chiffrée et parcellaire ; la musique savante est plutôt complexe et difficile d’accès, le plaisir qu’elle dispense se mérite et se travaille, tandis que la musique populaire est en général plus simple et constitue en principe une source de plaisir pour tout un chacun ; l’expérience de la musique savante a trait à la connaissance de l’art et à la connaissance par l’art, tandis que celle de la musique populaire relève surtout d’une connaissance du social et des « styles de vie » ; la musique savante n’est pas une marchandise et, pour cette raison, sa production dépend de l’État et des institutions, tandis que la musique populaire est soumise à la logique du marché ; la musique savante est synonyme de musique sérieuse, avec tout ce que ce terme comporte de noblesse et d’élévation morale, mais aussi d’aridité et d’ennui, tandis que la musique populaire est associée au divertissement et doit vivre avec le soupçon de s’appeler, de son vrai nom, musique commerciale ou musique de masse ; la musique savante a été historiquement pourvue d’une légitimité qui contraste avec l’illégitimité de la musique populaire, tandis que la légitimité de la musique populaire est un phénomène récent, qui reste relativement précaire ; la musique savante, c’est surtout la musique classique occidentale et ses dérivés, comme la musique contemporaine ou la musique électroacoustique, tandis que la musique populaire inclut le rock, le jazz, le rap, les musiques électroniques, les musiques du monde, la world music, voire les musiques traditionnelles ou folkloriques, et bien d’autres genres ou sous-genres plus ou moins stabilisés par l’usage et par les labellisations, ainsi que leurs multiples fusions et hybridations. »

    Né de la rencontre entre musique savante et musique populaire, le jazz est difficilement classable. Il est un cas à part au sein de l’opposition binaire entre musique savante et musique populaire. Le contrebassiste Henri Texier parle du jazz comme d’une musique « purement métisse : entre la tradition européenne et la tradition orale africaine ».

    « Ne pouvant être caractérisé ni comme une musique orale, ni comme une musique écrite, ni comme une musique composée, ni totalement improvisée, ni réservée au public de la « grande » musique, ni à un public plébéien, le jazz semble mettre en échec les grandes oppositions théoriques qui hantent l’esthétique traditionnelle. […] Car d’un côté, le jazz s’écoute bel et bien dans certaines salles prestigieuses selon les codes historiques de l’œuvre : comme le dirait Lydia Goehr, on y écoute du jazz comme dans un musée – une forme d’écoute qui requiert un silence et une attention soutenue. Mais il existe aussi une autre manière d’écouter le jazz, dans les rues et dans les clubs de La Nouvelle-Orléans, dans lesquels le jazz s’écoute dans le bruit, les cris, la joie et la danse. »

    Le jazz comme résistance à la philosophie de Joana Desplat-Roger, Université de Nanterre, 09/10/2020.

    Le jazz, un genre enrichi par la musique savante

    L’article La musique classique dans le jazz par Lisa Petit, disponible en ligne sur le site de la bibliothèque numérique de la Philharmonie de Paris, apporte d’intéressantes informations sur l’influence de la musique savante dans le jazz.

    « Le jazz est un genre musical qui s’est développé au XXe siècle. Il vient de la communauté noire du sud des États-Unis, en particulier de La Nouvelle-Orléans, et puise ses origines notamment dans le blues et le negro spiritual. Bien qu’il reste porté par la population afro-américaine, le jazz est né de la rencontre de sa musique avec la musique européenne. À l’exception du saxophone et de la batterie, les instruments utilisés (contrebasse, piano, trompette, trombone, clarinette, etc.) viennent de la musique classique occidentale. Bon nombre de jazzmen, en particulier les pianistes, connaissent la théorie musicale et les œuvres classiques européennes dont ils cherchent à briser les règles, promulguées par la culture blanche dominante, et à renverser la hiérarchie : ainsi, ce n’est plus le compositeur qui est au centre de la création, mais bien l’interprète. […] En dépit de ces différences essentielles, le ragtime est la forme la plus « européenne » de la musique afro-américaine. Il est issu d’un croisement entre ses figures rythmiques balancées et les marches et polkas de compositeurs comme Frédéric Chopin et Franz Liszt. […]. Dans les années 1950 et 1960, des musiciens de jazz (notamment les pianistes Don Shirley et Cecil Taylor) tentent de lancer un courant musical alliant jazz et musique classique européenne. Élevé dans un milieu bourgeois de New York et diplômé du Conservatoire de Boston (chose plutôt rare pour un musicien noir, Nina Simone n’aura pas ce privilège), Taylor essaie de fondre les techniques des compositeurs européens avec les musiques traditionnelles afro-américaines afin de créer une énergie nouvelle – sans succès, la principale difficulté étant l’incompatibilité des deux univers rythmiques. »

    L’article donne aussi des exemples de reprises de la musique classique européenne par des jazzmen :

    « Ainsi, Duke Ellington arrange Peer Gynt de Grieg et Casse-Noisette de Tchaïkovski. Il reprend la marche funèbre (Sonate pour piano n° 2) de Chopin à la toute fin de Black and Tan Fantasy. Phil Woods écrit Rights of Swing, en référence au Rite of Spring (Sacre du printemps) de Stravinski et dont le thème principal est repris et transformé dans le presto final. Des extraits de Carmen de Bizet sont cités par Charlie Parker (surnommé « Bird »), Barney Kessel, Peter Lipa… On n’oubliera pas non plus les œuvres de Beethoven, telles la Sonate op. 27 n° 2 « Clair de lune » qui sera métamorphosée sous les doigts du guitariste Marcus Miller, et la Symphonie n° 7, dont John Kirby et son orchestre offrent une version aussi dansante qu’enthousiaste du deuxième mouvement. Citons également la reprise du Concerto de Aranjuez de Rodrigo par Miles Davis dans son album Sketches of Spain ou les reprises de Bach par les Swingle Singers. »

    Le podcast suivant montre l’influence des découvertes harmoniques de Claude Debussy sur des musiciens de jazz comme Duke Ellington, Bill Evans ou Miles Davis :
    Debusswing par Jérôme Badini, Journée spéciale Claude Debussy, Radio France, 25/03/2018.

    Le jazz, source d’inspiration pour la musique savante

    Emprunts jazzy en musique savante

    Détournements savants du jazz en France et en Allemagne (1919-1922) : Adieu New-York ! De Georges Auric et le « Ragtime » de la Suite 1922 de Paul Hindemith par Martin Guerpin, Les Cahiers de la Société québécoise de recherche en musique, vol. 14, n°2, automne 2013.
    Résumé  : « À partir de deux oeuvres représentatives de ces emprunts au début des années 1920, Adieu New-York ! de Georges Auric (1919) et le « Ragtime » de la Suite 1922 de Paul Hindemith, cet article propose d’élargir la perspective comparatiste à des problématiques relevant du domaine des transferts culturels, afin de dégager la dimension nationale de la réception et de l’utilisation du jazz dans la musique savante au début des années 1920, en France et en Allemagne. »

    Dans l’article Musiques savantes et musiques populaires, disponible en ligne sur Encyclopædia Universalis, la musicologue Juliette Garrigues montre que le jazz inspire à son tour des compositeurs de musique savante.

    « Parmi eux, citons Claude Debussy (The Little Negro), Maurice Ravel (deuxième mouvement, Blues, de la Deuxième Sonate pour violon et piano ; L’Enfant et les sortilèges), Darius Milhaud (Le Bœuf sur le toit), Erik Satie, Igor Stravinski, George Gershwin, Aaron Copland, Leonard Bernstein… »

    Quand Maurice Ravel a le « Blues » par Max Dozolme, France Musique, 30/05/2022.
    Extrait  :

    « Take the jazz seriously ! Prenez le jazz au sérieux disait Ravel. Lui-même s’est passionné par cette musique et s’en est même inspiré dans sa Sonate pour violon qui fête aujourd’hui ses 95 ans. »

    D’autres exemples de compositeurs inspirés par le jazz

    Le concerto le plus jazzy de l’Histoire par Max Dozolme, France Musique, 08/08/2023.
    Extrait  :

    « On a la droit de piocher n’importe où pourvu que l’on fasse œuvre originale«  disait André Jolivet à un journaliste du magazine Jazz Hot en 1952. Et c’est justement parce qu’il s’inspire aussi ouvertement du jazz que ce concerto d’André Jolivet est aussi original. D’ailleurs le jazz n’hante pas seulement le mouvement lent du concerto. En témoigne ce break de percussion très jazzy au milieu du dernier mouvement.. »

    L’article Influences du Jazz sur la musique classique (Bulletins de l’Académie Royale de Belgique, Année 1990, 1, pp. 193-200) par Jean Baily, cite de nombreux exemples d’œuvres de compositeurs classiques inspirées du jazz.

    Pour aller plus loin…

    La grande histoire du jazz de Franck Bergerot, Larousse, 2023.
    Résumé  : Des premières work songs aux métissages multiethniques, des gospels aux expériences électroniques, du blues aux rapprochements avec le hip-hop,  la Grande Histoire du jazz aborde, en suivant la chronologie, les grandes phases de cette musique et ses principaux courants : spirituals, gospel, ragtime, jazz hot, swing, bop, cool, hard bop, free, fusion, etc.

    Rencontres du jazz et de la musique contemporaine de Ludovic Florin et Jean-Michel Court, Presses universitaires du Midi, 2015.
    Résumé  : Postulant que le jazz et la musique contemporaine ne sont plus dissociables, les contributeurs proposent une réflexion esthétique, analytique, philosophique et musicologique sur la création musicale actuelle, soulignant les influences réciproques qui ont conduit à l’émergence de musiques dépassant les catégories existantes. S’ajoute un questionnement plus général sur les productions intermédiales. ©Electre 2015

    L’Association pour la Coopération des professionnels de l’Information Musicale (ACIM) propose une Discographie Jazz et Musiques classiques.

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