Accueil » Histoire » Pourquoi les licornes ont-elles une corne ?

Pourquoi les licornes ont-elles une corne ?

    Thème :

    image_pdfimage_print

    Bibliothèque publique d’information – notre réponse actualisée le 03/04/2024.

    Deux licornes dans la neige
    Photographie issue de Freepik

    Véritable icône de la pop culture, la licorne a envahi notre quotidien depuis la décennie 2010. Traditionnellement, elle a l’apparence d’un cheval blanc et possède une longue corne torsadée sur la tête. Pourquoi cette corne ? Pour trouver la réponse à cette question, revenons ensemble aux origines du mythe.

    Un malentendu à l’origine du mythe de la licorne

    Il est fait mention de la licorne dès l’Antiquité. Dans les textes anciens, elle est désignée sous les termes de unicornu, monoceros, monodon. Le grec Ctésias, historien et médecin de la suite d’Artaxerxès, est le premier à y faire référence dans Histoire de l’Inde en 390 avant J-C. L’historien Bruno Faidutti met en lumière le malentendu qui semble être à l’origine du mythe. Ctésias aurait décrit des rhinocéros, et non des licornes.

    « La première source sur la licorne nous vient de Ctésias. Ce médecin grec qui vivait à la cour de Perse – donc à Persépolis – vers le VIe siècle avant Jésus Christ, raconte qu’en Inde – où il n’est jamais allé – des animaux ressemblent à des ânes, une corne au milieu du front. Ce sont probablement des rhinocéros qu’on lui a décrits. »

    À l’origine de la licorne, le rhinocéros par Elsa Mourgues avec Bruno Faidutti, France Culture, 5 octobre 2022.

    Dans son livre Licornes ! : Métamorphoses d’une créature millénaire (Ynnis Edition, 2022), Bruno Faidutti émet aussi l’hypothèse suivante :

    « Ctésias de Cnide est le premier auteur à avoir écrit que l’on trouvait des ânes unicornes en Inde. Il ne les avait certainement pas vus mais, à la cour de Persépolis où il exerçait en tant que médecin, ou à Babylone qu’il avait visitée, il avait observé des taureaux ou aurochs, parfois ailés, sculptés en bas-reliefs. Faute de textes, nous ne savons pas si les animaux représentés de profil sur les murs des temples et palais assyriens ou perses étaient, pour les artistes et les hommes d’alors, classiquement bicornes ou fantastiquement unicornes. Nous ignorons ce qu’en pensait Ctésias. »

    Par la suite, plusieurs auteurs illustres de l’Antiquité reprennent et amplifient la description faite par Ctésias. Vers 77 de notre ère, Pline l’Ancien dresse le portrait d’un être hybride, encore loin de l’élégante licorne actuelle. Dans son Histoire naturelle (Gallimard, impr. 2013), il écrit :

    « C’est l’unicorne, semblable au cheval par le corps, au cerf par la tête, à l’éléphant par les pieds, au sanglier par la queue ; il a un mugissement grave, et une seule corne noire s’élevant de deux coudées au milieu du front. »

    Dans Histoires de mammouth (Fayard, 2015), la paléontologue Marylène Patou-Mathis en conclut que « l’unicorne correspond probablement à un mélange de l’onagre, de l’antilope du Tibet et surtout du rhinocéros unicorne indien, dont la corne est connue pour ses propriétés thérapeutiques par les Romains deux siècles avant que Pline ne décrive son unicornis. »

    La circulation du mythe de la licorne au Moyen-âge

    Durant tout le Moyen-âge, la croyance en l’existence de la licorne est alimentée par deux textes qui font autorité : Histoire naturelle de Pline l’Ancien et la Bible.

    « En effet, le psaume 22 fait appel à deux mots distincts pour désigner les taureaux : par et re’ēm (ou rēm selon les manuscrits). L’animal appelé re’ēm n’est pas clairement identifié si ce n’est qu’il s’agit d’une bête des forêts, un animal sauvage réputé féroce, peut-être mythique. Il pourrait s’agir selon les auteurs d’un buffle, d’un taureau sauvage, d’une antilope, d’un rhinocéros ou d’une licorne. […] Μονόκερως, licorne, traduit pour la Septante les neuf occurrences bibliques de re’ēm dans les Nombres (23,22 ; 24,8), le Deutéronome (33,17), les psaumes (22,22 ; 29,6 ; 78,69 ; 92,11) et Job (39,9). Sa corne symbolise la force qui vient de Dieu. La licorne est un animal mythique originaire de la vallée de l’Indus et de la Perse antique. Symbole de pureté et de puissance, sa corne aurait des vertus magiques de purification pouvant évoquer la pénétration du divin dans la créature. La licorne était liée à une symbolique très positive de vie – notamment dans le domaine de la fécondité – et d’humilité en opposition à l’orgueil du lion. »

    Le lion, le chien et le taureau (ou la licorne). Une lecture du verset 22 du psaume 22 par Alain Toret, Nouvelle revue théologique 2024/1 (Tome 146), pages 3 à 29.

    Ainsi, la licorne est considérée comme un animal réel. D’autant plus qu’elle est présente dans un autre type d’ouvrage qui fait autorité au Moyen-âge : le bestiaire.

    « Dans les bestiaires, l’unicorne masculin apparaît sous deux jours à la fois complémentaires et partiellement contradictoires : d’une part, un animal féroce, qui pourfend de sa corne tout ce qu’il atteint lorsqu’il est en colère ; d’autre part, dans la mise en scène de la chasse, un animal rendu inoffensif, pacifié, endormi et, parfois, tué. Rien ne dit que cet unicorne, grammaticalement masculin, soit un représentant mâle de l’espèce. Du moins est-il confronté à un être qui, lui, est défini par son sexe et par son « état de vie » : une jeune femme, pucelle ou meschine, nécessairement vierge. […] Sur le plan physiologique, la corne de l’animal constitue une arme redoutable, qui peut renvoyer à la virtus du combattant. Comme le montre l’exemple déjà mentionné de Marcel Faure, certaines lectures inspirées par la psychanalyse y ont vu au XXe siècle une image phallique, à l’instar de l’épée du chevalier. Les textes médiévaux étayent-ils cette lecture virilisante de l’animal ? Permettent-ils de lire dans l’approche de la dame par l’animal cornu une métaphore de la préhension sexuelle ? Les bestiaires n’offrent pas de réponse à cette question. »

    À la croisée des sens, des genres et des discours. Licorne et unicorne quelques textes français des XIIe-XIVe siècles de Sophie Albert et Jean-René Valette, Celles qui existent et celles qui n’existent pas, éditions Vendémiaire, p. 131-164 notes p. 353-363, 2021.

    Dans La Dame à la licorne (RMN-Grand Palais, 2018), Élisabeth Delahaye décrypte la représentation de la licorne dans les illustrations des bestiaires :

    « À partir du 12e siècle, dans les illustrations des bestiaires en particulier, elle combine un corps de quadrupède souvent inspiré par les chevaux ou les chèvres avec une grande corne frontale : cet appendice est en fait une dent de narval. […] La licorne est donc un « collage » composé d’éléments issus de plusieurs espèces distinctes. »

    Focus sur la corne de licorne

    Des pouvoirs mystérieux

    La licorne perd progressivement son image d’animal féroce. Dans les romans courtois et dans la tapisserie de La Dame à la licorne, elle est toujours accompagnée de jeunes filles vierges. Ainsi, vers la fin du Moyen-âge, la licorne est associée à la pureté et à la virginité. On prête en particulier à sa corne des vertus de purification.

    « Vers la fin du Moyen Âge, la licorne devient de plus en plus douce, symbole d’innocence et de pureté. En parallèle, son apparence physique s’uniformise : c’est désormais un cheval blanc pourvu d’une corne de la même couleur sur le front. On dit également que cette corne soigne des empoisonnements – serait-ce l’origine de la surchasse des éléphants et rhinocéros ? Tout bon seigneur se doit de posséder une corne de licorne chez lui, tradition qui perdurera jusqu’aux salons du XVIIe siècle. »

    La licorne, de Jésus aux startups par Lucie Herbreteau, disponible en ligne sur Actuel Moyen Âge, 04/10/2018.

    Les remèdes à base de corne de licorne sont très en vogue à la Renaissance. Cela n’empêche pas certains de commencer à douter de l’existence de la licorne et des bienfaits de sa corne comme le souligne Marylène Patou-Mathis dans Histoires de mammouth (Fayard, 2015) :

    « Les légendes sur les propriétés thérapeutiques de la corne de licorne sont si répandues au XVIe siècle que Rabelais les parodie dans le cinquième livre de Pantagruel. Dans le Discours de la Licorne (1582), [Ambroise] Paré montre, par l’expérience du crapaud, que la corne de licorne n’est pas un contrepoison efficace.  »

    Un commerce prospère

    À la Renaissance, la corne de licorne est considérée comme un véritable trésor. Sa rareté et ses soi-disant pouvoirs en font un produit de luxe que les puissants s’arrachent à prix d’or en Europe. Papes et cardinaux cherchent également à s’en procurer en raison de la symbolique christique de la licorne.

    « Et c’est d’autant plus prestigieux que la corne de licorne est rare, presque introuvable et dotée de pouvoirs mystérieux, au point qu’en avoir un morceau, un tronçon ou même une simple tranche est déjà un signe de pouvoir. Elle vaut 10 fois son pesant d’or : Laurent le Magnifique a payé la sienne 6 000 florins, le pape Jules III 90 000 écus, quant à la République de Venise, elle est prête à mettre 30 000 ducats pour en acquérir une troisième. En 1533, Clément VII en offre une à François 1er. Quant à Mazarin, il en possédait deux, dont une de 7 pieds qui valait 2 000 livres. Mais la plus belle est celle qu’Haroun Al Rashid a offerte à Charlemagne.  »

    La corne de licorne miraculeuse : quand la croyance cède la place à la science de Perrine Kervan avec Patrice Bourdelais, Radiographies du coronavirus, la chronique, France Culture, 27/05/2020.

    Le trésor des cabinets de curiosité et des collections privées

    Au XVIe siècle, des cornes de licorne trônent dans les cabinets de curiosité des riches et des puissants.

    « Dès les premiers cabinets de curiosités, les cornes de licorne ont été recherchées par les collectionneurs, et se sont vendues au poids de l’or, car leur présence accréditait la fable : ces cornes étaient le signe que les animaux légendaires avaient quelque vérité. Tous les plus beaux cabinets d’Europe – Windsor, Dresde, Prague, où la corne de licorne est l’une des deux seules pièces déclarées inaliénables parmi la collection somptueuse de Rudolf II-, certains trésors d’église, et, parmi les plus fameux, St Denis ou St Marc, s’enorgueillissent d’en posséder une. »

    La France et l’Europe du Nord au XVIIe siècle : de l’Irlande à la Russie par Richard Maber, Ed. Narr Francke Attempto Verlag, 2017.

    Vous pouvez visionner, sur le site web du Musée de Cluny, une « corne de licorne » conservée dans le trésor de l’abbaye Saint-Denis au début du XVIe siècle :
    Dent de narval.

    Le mythe désenchanté

    Comme l’explique Elisabeth Delahaye dans La Dame à la licorne (RMN-Gran Palais, 2018), ces prétendues cornes de licornes sont en réalité des dents de narval  :

    « Les mâles de cette espèce de cétacés, vivant dans les eaux froides proches du Groenland, sont dotés d’une dent qui peut atteindre jusqu’à trois mètres de long. Les dents de narval étaient sans doute récupérées par les habitants du Groenland sur des restes d’animaux échoués ou chassés par des orques. Après trajet et échanges commerciaux transitant par la Norvège, les longs morceaux d’ivoire torsadé parvenaient dans les royaumes d’Occident, sans que les intermédiaires ni les destinataires finaux aient idée de l’animal auquel ils appartenaient initialement. »

    L’identification du narval à la fin du XVIIIe siècle marque la fin de la croyance en l’existence de la licorne. La licorne est définitivement reléguée au rang des animaux imaginaires par les zoologues.

    « En effet, les « cornes de licornes » vendues depuis la Renaissance sont pour la plupart des défenses de narval retrouvées sur les rivages des mers septentrionales. Leur commerce s’amplifie avec la multiplication des voyages dans ces contrées septentrionales. Dès lors, le prix de la corne de licorne ne va cesser de baisser pour s’effondrer au XVIIe siècle ; en 1641, elle ne vaut plus que 40 000 livres. Vivant dans les eaux arctiques, donc tardivement identifié, ce n’est qu’à la fin du XVIIIe siècle que le narval sera défini par Linné comme un mammifère marin – Monodon monoceros. Sa longue incisive ou défense torsadée – de 2 à 2,5 m en moyenne, jusqu’à 3 m, et très rare chez les femelles – portera longtemps le nom de corne et son surnom de « licorne de mer » lui est encore très attaché. »

    Histoires de mammouth de Marylène Patou-Mathis, Fayard, 2015.

    Pour aller plus loin

    Pour approfondir le sujet, nous vous conseillons les ouvrages :
    Les secrets de la licorne de Michel Pastoureau et Elisabeth Delahaye, Éd. de la Réunion des musées nationaux-Grand Palais, 2013.
    Licorne(s) de Sandrine Duclos, Editions de la Vallée heureuse, 2018.
    Le géant, la licorne et la tulipe : les cabinets de curiosités en France au XVIIe siècle d’Antoine Schnapper, Flammarion, 2012.

    Vous pouvez consulter le blog de l’historien Bruno Faidutti qui s’inscrit dans la continuité de son ouvrage Licornes ! : Métamorphoses d’une créature millénaire, Ynnis Edition, 2022.

    Nous vous proposons d’écouter les podcasts :
    À l’origine de la licorne, le rhinocéros par Elsa Mourgues avec Bruno Faidutti, France Culture, 5 octobre 2022.
    Les mystères de la licorne avec l’historien médiévaliste Michel Pastoureau, Les Animaux ont aussi leur histoire, France Culture, 31/12/2020.

    Le Musée de Cluny, musée national du Moyen-âge, possède d’intéressantes ressources en rapport avec la licorne :
    – Vous pouvez visionner la tapisserie La Dame à la licorne.
    – Vous pouvez consulter le dossier de presse et la vidéo de l’exposition Magiques Licornes qui a eu lieu du 14 juillet 2018 au 25 février 2019.

    Vidéo de présentation de l’exposition « Magiques licornes » au Musée de Cluny.

    EurêkoiBibliothèque publique d’information


    Laisser un commentaire

    Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *