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Je souhaite lire Guerre et Paix de Tolstoï. Or, je me demande quelle traduction lire…


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    couverture de Guerre et paix en folioLaquelle est considérée comme la meilleure par les spécialistes ?

    Notre réponse du 11/06/2017

    Afin de chercher des commentaires sur la traduction de La Guerre et paix, j’ai interrogé la base Europresse. Les mentions récentes de traduction de cette œuvre se rapportent toutes à la première version éditée en russe par Zakharov et traduite par Bernard Kreise. Voir la controverse dans l’article ci-dessous :

    Dites non au Tolstoï de poche qui affadit «Guerre et paix»! Le Temps, no. 1473 Georges Nivat, samedi 26 octobre 2002
    RUSSIE. A consulter comme un document, la première version du chef-d’oeuvre russe, intitulée «La Guerre et la paix», en donne une vision aplatie dont la traduction accentue les défauts.
    Lev Tolstoï : La Guerre et la paix, Trad. de Bernard Kreise, Seuil, 954 p.
    L’éditeur russe de La Guerre et la paix de poche, Zakharov, a le mérite d’afficher la couleur. «Première rédaction du roman: 1) deux fois plus courte, et cinq fois plus intéressante, 2) presque plus de digressions philosophiques, 3) cent fois plus facile à lire : tout ce qui est en français est remplacé par une traduction en russe de l’auteur lui-même 4) beaucoup plus de «paix» que de «guerre»! 5) Le prince André et Pétia Rostov restent en vie!» Plus hypocrite, l’éditeur français ne parle que d’un Tolstoï de poche «d’un tiers plus court», où «les réflexions philosophiques sont réduites à l’essentiel, et où l’action est resserrée».

    Si bien resserrée, ô amoureux de Tolstoï, que vous n’y trouverez plus ses longueurs et sa gaucherie narratives (qui sont un analogue d’écriture de la balourdise de Pierre Bezoukhov). Ne cherchez donc pas Platon Karataiev! Il a disparu. Ne cherchez pas la splendide mort de Pétia dans la charge des partisans que commande Dolokhov, ni cette fugue musicale qui emplit tous les recoins du ciel, et dont Pétia, qui ne connaît pas la musique, se sent l’invisible chef…
    Certes, l’immense fugue de Guerre et paix n’est pas sortie tout armée du cerveau de Tolstoï. Certes, il a longuement peiné, hésité, et le texte présenté a bien existé, à quelques infidélités graves près. C’est à un érudit soviétique, Zaïdenchnour, que l’on doit les minutieuses recherches et descriptions de tous les manuscrits, de tous les repentirs, et de la marche de l’auteur vers ce texte antiromanesque, anticanonique, dont il était fier et mécontent à la fois. Mais il n’en reste pas moins vrai que l’oeuvre enfin complète, avec ses digressions philosophiques, avec les discours de sagesse de Platon Karataiev, avec la mort en fugue de Pétia Rostov, avec le dernier soupir du prince André et le chagrin de Natacha face à la blessure béante de l’être, a connu de nombreuses rééditions du vivant de l’écrivain, et même si c’était la comtesse qui s’en occupait, rien, strictement rien ne conduit à penser que son mari n’était pas au courant ou désapprouvait. Et donc rien ne donne le droit moral de raccourcir et modifier le chef-d’oeuvre.
    Le traducteur a même cru bon de moderniser le français de Tolstoï tel qu’il fut écrit pour les passages en français, et il a donc aplati ce sabir savoureux de la haute aristocratie russe qui combattait Napoléon en dissertant dans la langue de Rivarol. Là aussi, s’il est vrai qu’il y eut une rédaction où Tolstoï, pris de repentir, tourna en russe les rouages en français de sa machine à conversation mondaine, il n’en reste pas moins que les éditions définitives comportent cet élément important d’un dédoublement linguistique qui marque la nature dénationalisée de la haute société russe. […] Prenez le Pléiade, ou toute autre traduction, au nom de votre propre plaisir de lire, ne prenez pas ce Tolstoï de poche !

    Guerre et paix a fait l’objet d’un atelier de traduction aux Assises internationales de la traduction de 2014 animé par Paul Lequesne. Voir le programme
    Vous pouvez lire en ligne les actes de cet atelier, Paul Lequesne démontre bien la difficulté de traduire Tolstoï. En voici un extrait mais je vous engage à le lire en entier sur le site :

    « Acte n°31 » ( 2014 ) p.143 à 153
    Traducteur d’un jour : Atelier de traduction du Russe

    « Pour l’occasion, j’avais procédé à une rapide recherche dans le catalogue de la Bibliothèque nationale et établi que le roman avait été traduit au moins onze fois en l’espace d’un siècle. J’avais dressé la liste de ses traducteurs :
    1879 : Irène Ivanovna Paskevitch (pseudonyme : “une Russe”), Hachette
    1902-1903 : J. Wladimir Bienstock (révisée par un certain P. Birioukov), Stock
    1930-1931 : Louis Jousserandot, Payot
    1933 : Marc Semenoff, Fayard
    1944 : Henri Mongault, Gallimard
    1948 : Olga Vesselovskaïa, éditions La Boétie
    1950 : Elisabeth Guertik, Hazan 1955 : J. Wladimir Bienstock révisé par P. Laurent, présenté comme cotraducteur, Verviers, “Gérard et Cie”
    1956 : Traduction de “l’équipe de littérature étrangère de la Bibliothèque
    mondiale”, éditions de la Bibliothèque mondiale
    1960 : Boris de Schlœzer, Club français du livre
    1962 : Alfred Bénarès, Ambassade du Livre
    « Je proposai alors de jeter un coup d’œil aux solutions trouvées par nos prédécesseurs. J’avais apporté quatre traductions différentes du passage : celles de Paskevitch, de Mongault, de Guertik et de Schlœzer.
    La version de Paskevitch fut d’emblée disqualifiée par les participants de l’atelier, quand ils découvrirent que le chapitre n’était pas numéroté chez elle “32”, mais “14”. Où étaient passés les dix-huit manquants ? Ils en reconnurent cependant l’élégance du style, mais convinrent que cette élégance était ici totalement déplacée. C’est cette traduction cependant
    qui fit connaître Guerre et Paix en France, et même en Grande-Bretagne, où elle servit de base à la version anglaise. Elle fit l’objet d’une vingtaine de rééditions, et est sans doute encore aujourd’hui la plus diffusée dans le monde francophone : libre de droit, elle est téléchargeable gratuitement
    sur de nombreux sites Internet.
    Mongault fut plus apprécié, chez qui le caractère oral de la narration est rendu par un audacieux passage au style direct : “Qui étaient-ils ? Que faisaient-ils là ?” Il lui fut reproché cependant d’escamoter un morceau de phrase de manière, sans doute, à l’alléger.
    Des quatre, la version d’Elisabeth Guertik était sans doute la plus neutre et la plus près de l’original, tandis que Schlœzer semblait puiser chez l’une et l’autre pour donner un texte
    finalement très recommandable, à l’exception d’un curieux “s’arrachant aux mains des gens qui le tenaient par les bras”, pour rendre порываясь вперед от людей, державших его за руку
    , le verbe порываться ayant plutôt le sens ici de “chercher à se libérer”, “se débattre”. »

    Pour sa part, la Bpi propose la traduction d’Henri Montgault dans la Pléiade
    La guerre et la paix
    https://catalogue.bpi.fr/fr/document/

    et la version courte citée ci-dessus :
    La guerre et la paix; Vojna i mir
    Auteur(s)Tolstoj, Lev Nikolaevič (1828-1910)
    Autre(s) auteur(s) roman trad. du russe par Bernard Kreise
    Editeur Seuil, 2002
    Sur le fond des grands événements du début du XIXe siècle, s’inscrivent les chroniques de deux familles appartenant à la noblesse russe, les Bolkonski et les Rostov. Cette traduction se fonde sur la version originelle publiée par l’Académie des sciences de l’URSS dans L’héritage littéraire.

    La version parue en Folio Gallimard est traduite par Schlœzer. Vous pouvez écouter une courte présentation de cette édition par Olivier Barrot sur le site de l’INA
    http://www.ina.fr/video/2243128001

    Enfin, j’ai parcouru le numéro de novembre 2010 du Magazine littéraire consacré à Tolstoï mais sans résultat pour ce qui est de la traduction.

    Cordialement,

    Eurêkoi – Bibliothèque Publique d’Information


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