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Existe-t-il des raisons religieuses qui expliqueraient que la musique arabe repose surtout sur la mélodie et écarte l’harmonie ?

photographie de musiciens Zorna et tambours

Zorna et tambours, by Jean-Pierre Dalbéra, CC0 Public domain, via Flickr

Notre réponse du 16/04/2018

Comme le note très justement Simon Jargy, il ne faut pas considérer la musique arabe « sous l’angle de l’esthétique musicale occidentale dont les critères prennent une valeur absolue et universelle aux yeux de beaucoup » [S. Jargy, La musique arabe, p. 47].

Dans la théorie musicale contemporaine, qui s’appuie largement sur les acquis de la musique occidentale, l’harmonie traite des accords et de leurs enchaînements dans la musique tonale, en réunissant ainsi les principes d’horizontalité (propres à la mélodie) avec les principes de verticalité [U. Michels, Guide illustré de la musique, I, p. 97; article « Harmonie tonale » dans Wikipedia].

Héritière des cultures hellénistique et irano-indienne, née dans un contexte de civilisations diverses, la musique arabo-musulmane « se meut [quant à elle] selon une esthétique de ligne horizontale faite de sons successifs et de formules mélodiques qui, dans le système traditionnel, ne se superposent et ne fusionnent que sporadiquement et de manière indépendante » [S. Jargy, La musique arabe, p. 49-50]. La notion dharmonie n’était pas absente des écrits arabo-musulmans sur la musique, mais elle a été comprise dans son sens premier, hérité probablement des auteurs antiques, comme la succession de notes plaisantes, agréables pour l’oreille humaine.

Dans la musique occidentale, l’harmonisation est devenue possible grâce à l’établissement d’un cadre simplifié et unique (l’échelle tempérée, les deux modes majeur et mineur, un système de mesures strictement codifié). La musique arabo-musulmane traditionnelle est restée attachée à la subtilité de ses intervalles composés de quarts de ton, à sa gamme naturelle, à la complexité impressionnante de son système modal (plus d’une centaine de maqâm-s classiques), à l’importance de la voix qui est, par elle-même, un instrument musical parfait. Cette complexité rend l’harmonisation à l’occidentale particulièrement difficile.

Au XIXe siècle, la musique occidentale pénètre le monde arabe. En 1869, l’Opéra khédival du Caire ouvre ses portes au public. Des tentatives ont été entreprises depuis pour essayer d’adapter les formes traditionnelles aux instruments occidentaux, aux règles de l’harmonie ou pour créer des genres métissés mélangeant les traditions musicales occidentales et orientales.

Quant à la question de licéité de la musique, les premières attaques des oulémas traditionalistes contre la musique datent du IXe siècle. Les réactions hostiles à son égard ne portaient pas sur la forme musicale elle-même, mais surtout sur les effets que la musique pouvait produire (un envoûtement proche de l’extase, une perte de maîtrise de soi et de l’intelligence [ghaybat al-aql], une sorte d’enivrement…) et sur les objectifs que poursuivait l’auditeur.

Bibliographie 

– Guide illustré de la musique (Vol. I) / Ulrich Michels ; trad. de l’allemand. – Paris : Fayard, 1988, p. 97.

– Music of Pythagoras : how an ancient brotherhood cracked the code of the universe and lit the path from antiquity to outer space/ Kitty Ferguson. – New York : Walker, 2008.

– La musique arabe / Simon Jargy. – 2e éd. mise à jour. – Paris : PUF, 1977 (Que sais-je ? ; 1436).

– Music in the world of Islam : a socio-cultural study / Amnon Shiloah. – Aldershot : Scolar Press, 1995.

– La musique dans le monde de l’islam : une étude socio-culturelle / Amnon Shiloah ; trad. de l’anglais par Christian Poché. – Paris : Fayard, 2002.

– Philosophies of music in medieval Islam / Fadlou Shehadi. – Leiden ; New York ; Köln : E.J. Brill, 1995 (Brill’s studies in intellectual history ; 67)

Références sur la licéité de la musique

– Musique et danse selon Ibn Taymiyya : le Livre du Samâ’ et de la Danse (Kitâb al-Samâ’ wa l’Raqṣ) compilé par le shaykh Muḥammad al-Manbijī / trad. de l’arabe, présentation, notes et lexique par Jean R. Michot. – Paris : Librairie philosophique J. Vrin, 1991 (Etudes musulmanes ; XXXIII)

– The dimension of music in Islamic and Jewish culture / Amnon Shiloah. – Aldershot : Variorum, 1993

Pour en savoir plus, voici le lien vers les ouvrages sur la musique arabe disponibles à la Bibliothèque de l’Institut du monde arabe.

Travaux universitaires français non-publiés

sur le sujet de l’harmonisation de la musique arabe :
– Harmonie et patrimoine musical en Tunisie : étude de l’orchestration d’une œuvre majeure : « Yā zahratan » / Ahmed Ilyadh Labbene ; sous la direction de Jean-Yves Bosseur. – Mémoire de Master Recherche en Musique et Musicologie, présenté à l’Université Paris IV en 2010 (lienvers le catalogue universitaire). Ce travail a été continué dans le cadre d’une thèse intitulée : « Musique arabe et orchestration. Pour un cadre théorique réglementant l’usage de l’harmonie » (voir le site du laboratoire).

– Le problème de l’harmonisation dans la musique arabo-orientale / par Bekderna Hanan ; directeur Marie-Bernadette Dufourcet-Hakim. Thèse de doctorat soutenue à l’Université de Bordeaux 3 en 2010 .

Encyclopédie de l’Islam

Articles consacrés à la musique dans l’Encyclopédie de l’Islam :

Ghinā’ (Encyclopédie de l’Islam, T. III)
Musīḳī (Encyclopédie de l’Islam, T. VII)
Samā’ (Encyclopédie de l’Islam, T. VIII)

– Quelque chose de diabolique. Brèves remarques sur la musique en islam / Hocine Benkheira, dans : Revue d’esthétique 35, 1999 (numéro spécial : « Image et parole dans l’islam »), pp. 91-101.

Voir aussi :

Al Musiqa : voix et musiques du monde arabe : exposition à la Philarmonie de Paris, 6 avril – 19 août 2018.

Cordialement,

Eurêkoi – Bibliothèque de l’Institut du monde arabe
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