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À qui appartient l’espace ? Y-a-t-il un droit pour encadrer cette appropriation de l’espace ?

Bibliothèque publique d’information – notre réponse du 10/10/2022.

Charles M. Duke, commandant de la mission Apollo 16, John W. Young, salue le drapeau des États-Unis planté sur la Lune. Apollo 16 (Archive: NASA, Marshall, 4/16/72) – CC BY-NC 2.0, via Flickr

« Bien que la coopération internationale dans le domaine spatial joue toujours un rôle déterminant, de nouvelles ambitions nationales émergent, se confrontent, et montrent les prémices d’une nouvelle géo­politique de l’espace extra-atmosphérique. Cela se constate notamment en termes d’appropriation et d’exploitation de ressources spatiales. Face à un droit lacunaire et imprécis, certains acteurs préparent déjà le cadre juridique à une future exploitation des corps célestes du système solaire. », écrit Pierre Marchand dans L’exploitation du milieu extra-atmosphérique lointain : Quels enjeux géopolitiques ? Le cas des missions spatiales lunaires, revue Stratégique, 2021/3 (N°126-127), p. 19 à 33 (en accès abonné).

Face à cette course actuelle à l’espace, à qui appartient l’espace ? Et y a-t-il un droit pour encadrer cette appropriation par des États, voire par des entreprises privées ? Voici une sélection de ressources pour y voir plus clair.

Définitions et dispositifs juridiques initiaux encadrant l’exploitation de l’espace

Où commence l’espace ?

Il existe une délimitation entre l’espace aérien et l’espace extra-atmosphérique :
La ligne de Karman est reconnue par la Fédération Aéronautique Internationale comme la frontière officielle entre la Terre et l’espace. Cette ligne a été définie par le scientifique américano-hongrois Théodore Von Karman (1881-1963). Selon cette définition, l’espace commencerait donc à une altitude de 100 km.

Où se trouvent les limites de l’espace ? Cela dépend à qui vous posez la question par Nadia Drake, nationalgeographic.fr.
Extrait :
Pour résumer, la plupart des spécialistes considèrent que l’espace débute au point où les forces dynamiques orbitales deviennent plus importantes que les forces aérodynamiques, ou lorsque l’atmosphère seule ne suffit plus à soutenir un vaisseau en vol à une vitesse suborbitale.

Les USA ont une appréhension différente de l’espace, ce qui entraîne aussi le non-respect des délimitations. C’est ainsi que le milliardaire Richard Branson via le vol du VSS Unity , le 11 juillet 2021, a volé vers le ciel pendant environ 50 minutes. Une fois situé à 15 km d’altitude, le vaisseau VSS Unity dans lequel se situait l’équipage s’est détaché comme prévu du vaisseau porteur Eve. VSS Unity a alors déclenché son propre moteur et entamé une ascension supersonique jusqu’à dépasser 80 km d’altitude. Le chiffre a son importance : c’est à ce niveau que les États-Unis situent officiellement la frontière de l’espace.
Cette particularité américaine est connue de longue date et, quand Virgin Galactic s’est lancé dans le tourisme spatial, elle est revenue sur le devant de la scène, notamment
en 2018 et en 2021. En effet, Virgin Galactic a dépassé l’altitude requise selon les normes américaines, mais pas celle couramment acceptée dans le reste du monde. Blue Origin, un concurrent, n’a pas manqué de le souligner
Source :
Où commence l’espace ? La question est plus complexe qu’il n’y paraît par Julien Lausson, www.numerama.com, le 30/07/2021.

La Fédération aéronautique internationale (FAI), qui catalogue les standards et les données en matière d’astronautique et d’aéronautique, considère également que l’espace débute à 100 kilomètres au-dessus du niveau de la mer.


Les textes fondateurs du droit international de l’espace

Le droit international de l’espace repose sur Cinq traités et accords qui ont été négociés et signés sous l’égide du Comité des utilisations pacifiques de l’espace extra-atmosphérique (CUPEEA), qui en assure également la mise en œuvre.
Il s’agit des Traités et des principes régissant les activités des États en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique adoptés par l’Assemblée générale des Nations Unies (Téléchargeable en pdf via le site de l’ Unoosa : United Nations Office for Outer Space Affairs.)
Publiés en 2002, les cinq traités relatifs à l’espace extra-atmosphérique adoptés à ce jour par l’Organisation des Nations Unies ainsi que les cinq séries de principes sont ainsi rassemblés en un seul volume.
Présentation : Le présent recueil plus complet de lois et règlements relatifs à l’exploration et à l’utilisation de l’espace extra-atmosphérique a été établi à partir des textes soumis par les États.
Focus sur les plus importants : 

  1. Le Traité de l’espace (1967)

Il s’agit du traité fondamental régissant le droit spatial. Cents États ont ratifié le Traité.

Le Traité de l’espace, ou Traité sur les principes régissant les activités des États en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes, ratifié en 1967, est l’élément fondateur du droit international de l’espace.
Pierre Marchand le présente ainsi (cf article cité en introduction ) : « le Traité sur l’espace de 1967 a mis en avant le prin­cipe d’une non-appropriation des milieux extra-atmosphériques, mais il n’interdit pas une exploitation des ressources spatiales et une utilisation de celles-ci à des fins étatiques, commerciales et privées. »

  1. Accord régissant les activités des États sur la Lune et les autres corps céleste (1979)

L’Accord a été adopté par la résolution 34/68 de l’Assemblée générale des Nations Unies en date du 5 décembre 1979.

  1. Le Traité sur la Lune (1984)

Pierre Marchand le présente ainsi (cf article cité en introduction ) :
« Entré en vigueur en 1984, le Traité sur la Lune, régissant les activités des États sur la Lune ou sur les autres corps célestes, a tenté de combler ces lacunes en imposant un cadre strict sur l’exploitation du milieu extra-atmosphérique. Si ce nouveau traité établit l’appartenance des corps célestes à la communauté internationale, il n’aura cependant été ratifié que par très peu d’États. » Et une note précise que « Lors de sa signature, le traité fut d’ailleurs considéré comme un échec puis­qu’aucune nation ayant un programme spatial autonome et indépendant ne l’a ratifié. » »

Pour connaître les États qui ont signé et ratifié le Traité sur la Lune, voir l’infographie Les pays qui ont signé le traité sur la Lune de Claire Jenik, site Statista, 19/07/2019.


Un droit de l’espace insuffisant et dépassé

Les Émirats arabes unis, la Chine et les États-Unis sont en route pour la planète Mars. Alors que la conquête de l’espace s’accélère, le droit spatial international demeure flou. Quelles sont les conditions de l’exploitation des ressources extraterrestres ? Qui peut dominer l’espace ?
Qui peut exploiter l’espace ? podcast Le temps du débat sur radiofrance.fr, le 20/07/2020.

Course à l’appropriation des ressources des planètes

À qui appartiennent Mars, la Lune et leurs ressources naturelles ?, par Julien Mariez (chef du service juridique du CNES), theconversation.com, le 13/07/2020.
Extrait :
« En 2017, le Luxembourg imita le pionnier américain et adopta une loi statuant explicitement que « les ressources de l’espace sont susceptibles d’appropriation ». En février 2020, les Émirats arabes unis, acteur montant du secteur spatial, adoptèrent une législation analogue.
L’ONU se saisit en 2016 de la question, mais les travaux sont limités pour l’heure à un échange de vues entre États et le comité concerné ne dispose d’aucun mandat qui lui permettrait d’entamer de quelconques travaux à caractère normatif. De fait, les points de vue des États sont pour le moins contrastés, certains d’entre eux, comme la Russie, exprimant une opposition farouche aux initiatives nationales tendant à réglementer unilatéralement l’activité.
Plusieurs États, dont la France, considèrent que le comité de l’ONU constitue l’enceinte compétente et devrait conduire des travaux approfondis sur la question de l’encadrement de l’exploitation des ressources spatiales. Las, la proposition faite par plusieurs États européens de constituer un groupe de travail ad hoc n’a pu pour l’heure aboutir, faute de consensus.
»


Les Emirats arabes unis ont déjà signé un accord d’exploitation des ressources minières de Mars.
Voir cet article dans The Conversation :
Retour des humains sur la Lune : Artemis, figure de proue d’une compétition globale, par Florian Vidal et José Halloy, theconversation.com, le 22/11/20220.


Installation grandissante de dispositifs de transmission

Découvrez sur la carte interactive, l’ensemble des satellites et débris spatiaux envoyés dans l’espace : La carte interactive des satellites et débris spatiaux – L’instant culture

Au 30 avril,  5 465 satellites (dont 3 433 en provenance des États-Unis) en orbite autour de la Terre ont été recensés UCS Satellite Database

La France est le seul pays à avoir une loi qui traite des débris spatiaux issus de cette occupation de l’espace : il s’agit de La Loi no 2008-518 du 3 juin 2008 relative aux Opérations Spatiales (LOS).


L’essor du “New Space” initié  par les États-Unis. Un premier pas vers la privatisation de l’espace ?

New Space désigne une industrie spatiale née aux États-Unis. Son développement est favorisé par un cadre juridique américain adapté aux activités spatiales commerciales qui accroît considérablement l’accessibilité et l’attractivité de l’espace.
Source :
Définition | New Space par Rémy Decourt, futura-sciences.com, le 30 juillet 2017.

Les nouveaux conquérants par Xavier Pasco, revue Projet, 2022/2 (N° 387), p. 44-48.
Pour en savoir plus en quelques pages sur le New Space et la lecture américaine du droit de l’espace.
Extrait :
« L’espace extra-atmosphérique est un domaine d’activité humaine juridiquement et physiquement unique, et les États-Unis ne le considèrent pas comme un bien commun mondial », lit-on dans ce décret présidentiel [ordre exécutif n° 13914 du 6 avril 2020, administration Trump]. « En conséquence, les États-Unis ont pour politique d’encourager le soutien international à la récupération et à l’utilisation publique et privée des ressources de l’espace conformément au droit applicable. » 

Le nouvel âge spatial : de la guerre froide au New Space, conférence de Xavier Pasco, Directeur de la Fondation pour la recherche stratégique, lors de la 11ème édition des Rencontres du ciel et de l’espace, le 2 novembre 2018, à la Cité des sciences et de l’industrie.

L’espace extra-atmosphérique : un espace commun en voie de privatisation ? par Xavier Pasco, Stratégique, 2019/3 (N° 123), p. 215-223. Consultable sur la plateforme Cairn.
Résumé :
L’espace extra-atmosphérique définit un domaine très parti­culier, tant du point de vue physique que du point de vue de ses usages. Son caractère global, éminemment collectif et partagé, spécificité consacrée par le droit international, font de l’espace l’un des meilleurs candidats au titre « d’espace commun ». Pour autant, l’espace n’est pas exempt de rapports de force à caractère militaire, industriel ou commercial. Pendant les décennies de guerre froide, l’affrontement bipolaire avait cependant contribué à sanctuariser l’espace. Aucune des deux grandes puissances n’avait alors intérêt à désta­biliser l’équilibre spatial, élément crucial de l’équilibre stratégique plus large. Les temps ont changé et les années récentes ont montré un intérêt militaire renouvelé pour utiliser l’espace. L’évolution des technologies et l’irruption de nouveaux acteurs confèrent aussi une dynamique nouvelle à l’activité spatiale qui met aujourd’hui en débat le statut de l’espace extra-atmosphérique. [Nous surlignons.]


Utilisation de l’espace extra-atmosphérique en France et dans le monde 

Face au poids grandissants et aux différentes manœuvres des États-Unis pour aller plus loin dans l’exploration et l’exploitation de l’espace, des réponses internationales contrastées ont surgi  :
France et Europe : quelles politiques spatiales ? par la Rédaction du site institutionnel vie-publique.fr, 20 septembre 2022.
Dans un discours du 16 février 2022, le président de la République, Emmanuel Macron, rappelle les enjeux de la souveraineté spatiale européenne et française. Il détermine les quatre piliers d’une action spatiale.
Notamment : Le troisième pilier est de faire de l’espace un lieu de protection d’un bien commun par la promotion de standards de régulation.

Les ambitions spatiales de la Chine, par Marc Julienne, Études de l’Ifri, janvier 2021.
Extrait de la note du site sur cette étude :
« Enfin, un domaine dans lequel Pékin est de plus en plus actif sont les forums internationaux de la gouvernance de l’espace. Maintenant que la Chine est une puissance spatiale majeure, elle entend peser dans les négociations et tirer le meilleur parti du droit international régulant l’espace extra-atmosphérique. Deux sujets l’intéressent particulièrement : l’exploitation des ressources dans l’espace et l’arsenalisation de l’espace. » [Nous surlignons.]


L’évolution du cadre juridique d’exploitation de l’espace

Les enjeux stratégiques du domaine spatial

La guerre de l’espace aura-t-elle lieu ? de Jacques Arnould, éd. L’Harmattan, 2022.
Extrait de la présentation (4ème de couverture) : Soixante ans après le vol inaugural de Spoutnik, plusieurs États, dont les États-Unis et la France, se sont dotés d’une « armée de l’espace » : l’espace est-il sur le point d’entrer en guerre ? Les humains vont-ils transporter dans les étoiles les conflits qu’ils mènent sur Terre ?
La question est d’autant plus actuelle que, dans le même temps, les entrepreneurs du NewSpace expriment des velléités d’exploiter les ressources de l’espace et mettent ainsi en défaut les principes du droit de l’espace, en particulier ceux de non-appropriation et de libre accès.

L’évolution des enjeux stratégiques dans le domaine spatial, une conférence de la Fondation méditerranéenne d’études stratégiques (FMES) avec Xavier Pasco (2021) à regarder sur la chaîne YouTube de la FMES (durée : 1 h 46).


Le poids des États-Unis dans le domaine spatial

Les Etats-Unis sont à l’initiative de « nouvelles lois » qui préservent et consolident leurs intérêts présents et futurs dans l’exploitation des ressources spatiales. Or, ce qui fait la force des Etats-Unis dans ce domaine, est sa singularité dans l’investissement spatial qui représente plus de 50% des investissements mondiaux depuis des années.
Le Space act américain de 2015 ou la privatisation des ressources de l’espace
Consulter l’article Les Etats-Unis peuvent-ils s’emparer des matières premières de l’espace ? par Marion Degeorges, lesechos.fr, le 22/11/2015.
Le Sénat américain vient d’approuver un projet de loi autorisant les entreprises privées à forer des corps célestes pour en extraire les matières premières, et les commercialiser.


Des pistes pour mieux encadrer l’exploitation de l’espace

Ce cadre juridique international initial reste donc fragile, parce que des États instaurent de nouveaux cadres juridiques au gré de leurs ambitions spatiales. De nouvelles réflexions sur les évolutions du droit international spatial s’imposent.
Une version des actes du colloque des 6-7 mai 2021 est disponible en ligne : L’Espace extra-atmosphérique et le droit international, de Clémence Bories et Lucien Rapp (dir.), éd. Pedone, 2021.
Extrait de l’Avant-propos de Lionel Suchet, p. 8 :
« Ainsi, le développement des activités dans l’espace et la multiplicité des nouveaux acteurs, notamment du secteur privé, rendent absolument nécessaire l’évolution du droit interne des activités spatiales. Les nouvelles régulations devront permettre une soutenabilité des activités spatiales tout en garantissant la sécurité de ces activités. Elles devront aussi trouver un équilibre fragile entre le contrôle nécessaire et la garantie de développement économique des activités. »
La troisième partie des actes de ce colloque s’intéresse à des pistes pour un renouvellement du régime juridique, tant dans la réponse aux enjeux économiques et environnementaux que dans l’encadrement des différends internationaux.

Un autre colloque s’est intéressé aux problématiques du droit de l’espace et à la nécessité de réviser les règles internationales : Droit de l’espace extra-atmosphérique : questions d’actualité : actes des demi-journées des jeunes chercheurs de la SFDI des 26 juin et 6 juillet 2020, de Clémentine Bories, Mathilde Vigné, Julien Vilar et al., Presses de l’Université de Toulouse 1 Capitole, 2021.

En juin 2022, La France est le vingtième pays à rejoindre les Accords Artemis :
Spatial – La France rejoint les Accords Artemis (07.06.22), Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, sur diplomatie.gouv.fr.
La France a signé hier la déclaration dite des « Accords Artemis », déclaration qui propose des principes d’action pour l’exploration pacifique de l’espace dans le cadre du programme spatial Artemis. Cette déclaration réaffirme notamment l’importance du cadre universel établi par le Traité sur l’espace de 1967, ainsi que l’attachement à l’élaboration, dans un cadre multilatéral, d’un régime juridique international sur cette question.

Le programme d’exploration Artemis offre à la France de nombreuses opportunités pour l’industrie et la recherche scientifique, tant au niveau national qu’européen. La signature de la déclaration permet en outre de prolonger et d’approfondir les coopérations engagées par des entreprises françaises déjà activement investies dans ce programme.


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