Accueil » Histoire » Qui a « inventé » l’expression « années folles » ? S’agit-il d’un écrivain ? D’un historien ? D’un politique ?

Qui a « inventé » l’expression « années folles » ? S’agit-il d’un écrivain ? D’un historien ? D’un politique ?

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    Réponse apportée le 02/20/2007  par REIMS Bibliothèque Municipale – Design, Fonds régional

    L’expression « Les années folles » est souvent citée dans divers dictionnaires, situant cette période de 1918 à 1930, sans préciser l’origine de cette terminologie. « Le Trésor de la langue française informatisé » cite l’ouvrage « Les années folles » de Gilbert Guilleminault paru aux éditions Denoël en 1956.
    On ne connait pas d’auteur exact de cette expression, mais le texte
    ci-après, de Marc Vanden Berghe apporte des éléments de réponse :

    Questions de terminologie :
    « Au coeur des années 20, ce sont surtout la technologie, la
    mécanisation, les utopies socio-économico-politiques et
    littéraires qui investissent le vocabulaire. Certains auteurs
    désabusés rescapés de la Grande Guerre se consolent sous
    l’étendard de la génération perdue. Quelques-uns se
    regroupent sous les bannières agitées du communisme ou du
    socialisme. D’autres dévient vers l’extrême-droite. La plupart
    se retrouvent dans le culte de la vitesse, le goût des
    automobiles, du train, de l’avion, du cinéma, de la T.S.F., du
    gramophone et de kyrielles d’accessoires qui envahissent le
    quotidien. L’époque grouille de vie: de parties feutrées en
    orgies débridées, on bavarde, discute, disserte, délire, et après
    coup, on écrit beaucoup, sur tout, sur rien, mais nulle part,
    semble-t-il, on ne dit, ni n’inscrit: Années folles. Presse
    périodique, dictionnaires usuels, auteurs publiés: personne ne
    paraît connaître l’expression.

    La plus ancienne trace officielle d’envergure que j’en ai
    trouvée remonte à l’année 1956: trace médiatique s’il en est,
    puisqu’il s’agit du titre d’un ouvrage collectif destiné au grand
    public, en l’occurrence un recueil d’articles sur quelques
    moments et figures clés des années 204. Publié sous la
    supervision du journaliste Gilbert Guilleminault, le livre
    s’intègre dans une collection titrée « Le roman vrai de la IIIe
    République » ¾ tout un programme… Plusieurs rééditions
    suivent, dont une en format « Livre de Poche », gage
    théorique de gros tirages. En 1960, un documentaire français
    réalisé par Henri Torrent et Mircea Alexandrescu sort sous le
    même titre: Les Années folles. Dès lors, la dénomination
    devient emblématique des années 20, mais aussi, par
    contagion, de l’entre-deux-guerres, ce qui alimente une
    confusion dont on peut dire qu’elle sévit aujourd’hui encore.

    Depuis les années 70, les dictionnaires usuels (Larousse,
    Robert) font tout au plus état de l’expression sans indiquer
    son origine. Le Trésor de la Langue Française, une référence
    en matière d’étymologie, dans son édition de 1980, au mot
    ‘fou’, cite le livre dirigé par Gilbert Guilleminault en 1956 et
    4 Les Années folles, sous la direction de Gilbert Guilleminault, Paris, Denoël, 1956.
    définit vaguement les Années folles comme les années suivant
    l’armistice de 1918.5

    Pourquoi parler d’Années folles? Ni le recueil de 1956 ni ses
    suiveurs n’ont jugé bon de s’étendre sur la question, comme si
    l’étiquette allait de soi.
    Selon moi, la réponse se trouve dans le contexte même des
    années 50: les temps sont alors mûrs pour une lecture critique
    des années 20, sur lesquelles on se penche avec nostalgie tout
    en mesurant leur coupable insouciance. La société des années
    50, marquée par la guerre froide, se remet lentement du
    cataclysme de la Seconde Guerre mondiale, à peine une
    génération après la Première: celle qu’on avait appelée la der
    des ders… L’expression d’Années folles prend donc un double
    sens: folles en ce sens qu’elles ont vu souffler un cartel de
    vents de créativité inouïe, d’espoir insensé, de liberté
    revendiquée sans tabous ni limites. Folles aussi en ce sens
    qu’elles n’ont pas vu (ou pas voulu voir) la menace du
    fascisme, la montée du nazisme, l’hydre des totalitarismes, les
    vices de l’américanisme, la perversité du consumérisme,
    l’échec de la S.D.N., la froideur du modernisme, le danger
    d’un machinisme chaotique, l’épidémie galopante d’oubli
    institutionnalisé face aux carnages de la Grande Guerre
    hâtivement plâtrés plutôt que correctement suturés.

    Eurêkoi
    Réponses à distance
    Bibliothèque Municipale de Reims


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